"Le Teatro del Silencio fait coïncider le fond et la forme"

Dans Theatrekrant, le 3 juillet 2015
http://www.theaterkrant.nl/recensie/doctor-dappertutto/
Traduit du néerlandais

Par Henri Drost

Tout commence par trois coups de théâtre. Et se termine par trois coups de feu. Entre les deux, une heure, où le Teatro del Silencio parle non seulement de la vie et l'œuvre du directeur de théâtre Vsevolod Meyerhold (1874-1940), mais aussi de l'histoire de la Russie et beaucoup plus encore. Le rythme est féroce, la musique parfois assourdissante et les acrobaties à couper le souffle.

Meyerhold a rompu radicalement avec la façon traditionnelle de faire du théâtre. Opposé au théâtre réaliste, il voulait au contraire que le public se rende compte que ce qui arrive sur scène n’est pas réel. « Et tant pis s’il y a des erreurs, car tout est mieux que la médiocrité ». Dans les loges, délibérément laissées à vue du spectateur, les acteurs changent de costumes, et le spectateur, décrit par Meyerhold comme le quatrième acteur, est alors impliqué directement dans le spectacle.

Car c’est du grand spectacle qu’offre le Teatro del Silencio. A l’instar de Meyerhold, l’accent est mis sur le jeu physique et les gestes exagérés, avec des numéros empruntés au cirque - même le cracheur de feu ne fait défaut. Meyerhold, lui, revêt différentes apparences, celle du clown Pagliacci, mais est habillé majoritairement d’un costume 3 pièces. Nous assistons à l'émergence du jeune metteur en scène, engagé dans la révolution prolétarienne. Il y a une fête, nous dansons. Mais nous entendons aussi la propagande de Lénine et derrière l’apparence d’une douce sérénade mexicaine, l’assassinat de Trotski sur ordre de Staline. Quelques minutes plus tard, l'enterrement de Lénine, et le règne de Staline, le règne de la terreur, commence vraiment.

Il est merveilleux de voir comment le Teatro del Silencio amène cette transition à travers des tableaux visuels: le canon de Lénine soufflant des confettis rouges, la neige d'un blanc pur cachant l’ascension imminente de Staline, et des images de la «classe ouvrière» pour parler du goulag.

Meyerhold lui, après avoir été d'abord adopté par le régime, a été arrêté en 1939 et envoyé dans un camp de travail. Il a été exécuté un an plus tard, après la mort de son grand amour. Nous recevons aussi l'adieu déchirant de Stella, le personnage féminin principal du Cocu magnifique, pièce du dramaturge belge Fernand Crommelynck, dans une scène où la présence de Meyerhold se fait sentir.

Ce n’est pas pour rien que ce spectacle a reçu des prix internationaux. Mais cela aide de savoir non seulement qui était Meyerhold, mais aussi d’avoir été attentifs pendant les cours d'histoire ; c’est alors que l’on comprend la finesse de cette pièce. Surtout si l’on sait que cette performance reflète également l'histoire du metteur en scène chilien Mauricio Celedón, qui a fui son pays après l’arrivée de Pinochet au pouvoir.

Doctor Dapertutto est-il donc un simplement fourre-tout pour les amateurs de théâtre chevronnés et experts en histoire? Certainement pas, car le Teatro del Silencio, c’est aussi "juste" une écrasante performance de rue avec de puissantes acrobaties.

Doctor Dapertutto est un spectacle très étonnant et aussi un de ces rares spectacles où la forme et le contenu non seulement coïncident, mais s’illustrent et se renforcent mutuellement. Un défi ambitieux relevé par Deventer op Stelten de proposer ce spectacle comme tête d’affiche de son programme, notamment parce que les textes de Meyerhold sont joués en français et en russe. Cet événement qui a commencé comme un festival d’échasses, s’est familiarisé et a mis l’accent au fil des ans sur le théâtre de rue. Nous assistons à un changement culminant avec cette performance. Espérons que le festival de Deventer puisse maintenir le cap.